Alfred Boucher : La délicatesse du marbre
Alfred Boucher (1850-1934), Volubilis, musée Camille Claudel (Nogent-sur-Seine), vers 1897, H. 120 ; L. 83 ; P. 55 cm.
Rédigé par : Ariane Schlemmer
Dans Le Quotidien du 22 août 1934, le journaliste chargé de l’article à la mémoire du sculpteur Alfred Boucher décédé quatre jours plus tôt, dressait un portrait rétrospectif assez sévère de l’artiste, en écrivant que c’était « un de nos bons sculpteurs de second ordre, maître d’un bon métier où il n’innovait pas ». Cette critique illustre parfaitement l’idée que semble s’être fait l’histoire de la sculpture de cet artiste : une « belle main », capable de traiter des sujets très divers, en de multiples formats, mais ne proposant rien d’autre que des formes convenues.
Alfred Boucher est né le 23 septembre 1850 à Bouy-sur-Orvin dans le département de l’Aube, dans une famille modeste, de parents ouvriers agricoles. C’est en 1859 que la famille Boucher déménage à Nogent-sur-Seine, petite ville située à une dizaine de kilomètres de Bouy, lorsque le père y est engagé comme jardinier pour la propriété du sculpteur Marius Ramus. Très vite, Ramus remarque l’appétence du jeune Alfred Boucher pour ses travaux de sculpture, et lui offre l’opportunité de se former à cette discipline. Convaincu du talent de son jeune élève, il décide alors de le présenter au sculpteur natif de Nogent le plus en vogue à l’époque, Paul Dubois. Alors considéré comme le chef de file des « néo-florentins », c’est grâce à son appui ainsi qu’à celui de personnalités politiques du secteur, qu’Alfred Boucher obtient la possibilité d’entrer à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris en 1871.
Après une formation classique et deux séjours en Italie, Boucher remporte plusieurs succès au Salon qui lui ouvrent les voies de la commande d’Etat, mais aussi la popularité auprès d’une clientèle bourgeoise qui aime collectionner ses œuvres d’édition. Fort de cette renommée, l’artiste acquiert une fortune suffisamment importante qui lui permet, en 1902, de fonder deux institutions importantes : la Ruche des Arts, cité d’artistes au cœur du quartier de Montparnasse qui accueille de jeunes talents désargentés venus de toute l’Europe (et est toujours en activité aujourd’hui dans le 15 ème arrondissement de Paris) ; et le musée Dubois-Boucher à Nogent-sur-Seine, auquel il fait don d’une grande partie de sa collection. Après la Première Guerre mondiale, le sculpteur reste actif, quoiqu’en léger retrait. Il s’adonne à l’expérimentation de nouvelles techniques comme le ciment de fer, qu’il réserve surtout à ses monuments aux morts, qui représentent désormais la majorité de ses commandes, ou encore à la peinture, qu’il avait pratiquée étant plus jeune, mais qu’il n’a visiblement jamais considérée autrement que comme une activité secondaire.
Toutefois, malgré son œuvre prolifique, l’historiographie contemporaine n’a retenu l’œuvre d’Alfred Boucher que de façon très marginale. On se souvient davantage de lui pour son rôle d’intermédiaire dans la rencontre entre Camille Claudel et Auguste Rodin, ou pour la création de La Ruche ; il est l’un de ces sculpteurs plébiscités par la Troisième République, dont l’œuvre a été passé sous silence au regard de la manière dont le XXème siècle a construit la notion de modernité. Pourtant auréolé de succès, tant au Salon récompensé par de nombreux prix, que par quelques grandes réussites commerciales auprès d’une clientèle bourgeoise, Boucher est un sculpteur qui a davantage marqué l’historiographie par son caractère généreux que par son œuvre sculpté néanmoins très diversifié.
Désormais, il me tient à cœur de vous présenter l’une de mes œuvres favorites réalisées par Alfred Boucher. L’artiste s’inspire ici d’un poème de René François Sully Prud’homme extrait de son recueil Les Solitudes. La posture de la jeune femme est issue d’une première œuvre réalisée par Boucher pour orner la tombe de Ferdinand Barbedienne au cimetière du Père Lachaise (elle se situe dans la division n°53 pour les curieux taphophiles !) où la jeune femme porte une torche mortuaire en train de s’éteindre, symbole de la douleur devant la mort du défunt. Ici, Boucher remplace cet attribut par une fleur de volubilis, signifiant tantôt une amitié dévouée, tantôt les risques d’une liaison trop facile et plus largement une symbolique érotique (la fleur de volubilis ne s’ouvrant que la nuit), ce qui est renforcé par la posture alanguie de la jeune femme découverte, bien que cet érotisme reste toujours contenu chez Boucher. L’artiste, ayant remporté un vif succès pour ces compositions élégantes et d’une sensualité légère, décida de décliner son modèle en des compositions variées : des hauts reliefs au buste plus ou moins tronqué largement inspirés des traitements en non finito d’Auguste Rodin, ou encore en différentes techniques (grès Müller et bronze Barbedienne). Ses œuvres L’Hirondelle blessée et La Baigneuse s’inscrivent également dans la filiation de cette œuvre. On peut presque parler de « signature Boucher » pour ces figures féminines à la tête inclinée sur la gauche !
Toute la subtilité de l’œuvre réside dans l’harmonie des formes, la finesse du drapé qui en devient presque réellement fluide et la douceur générale qui se dégage de la composition.
Le grand marbre de Volubilis est une acquisition récente du musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine, héritier du musée qu’Alfred Boucher avait créé en 1902. N’attendez plus pour aller visiter ce magnifique musée entièrement consacré à la sculpture du XIXe siècle !
Bibliographie :
- Piette, Jacques, Alfred Boucher : 1850-1934 : l’œuvre sculpté, catalogue raisonné, Paris, Mare & Martin, Paris, 2014, 471p.
- Rionnet, Florence, Les Bronzes Barbedienne : l’œuvre d’une dynastie de fondeurs, 1834-1954, thèse de doctorat (La Sorbonne – Paris IV, 2006), Paris, Arthena, 2016, 571p.
- Alfred Boucher, 1850-1934 : « sculpteur humaniste » [cat.exp. Nogent-sur-Seine, musée Dubois Boucher, 27 mai – 29 octobre 2000], Nogent-sur-Seine, musée Dubois-Boucher, 2000, 96p.
- Schlemmer, Ariane, L’œuvre d’Alfred Boucher (1850-1934) à Nogent-sur-Seine : l’heure de gloire d’un sculpteur officiel de la Troisième République, mémoire de master 1, Ecole du Louvre, juin 2024 (disponible en septembre 2025)